Sierra de Guara

L’Espagne recèle de richesses naturelles dont la simple évocation fait jaillir la lumière dans les yeux des novices et des voyageurs au long cours. L’âpreté des Pyrénées dans le rétroviseur, fracas des eaux du Cinca accompagnant notre migration vers le sud, torpeur du soleil envahissant l’habitacle de la voiture, l’œil se fait rieur.
La Pena Montanesa se pose en dernier vestige de la chaîne pour laisser place à des dolines aux rondeurs suaves, à des lacs d’une étendue déconcertante. Nous naviguons en plein mysticisme des paysages espagnols. Villages accrochés tels des vigies désuètes, clochers égrainant le temps d’une Espagne asservi par le manque d’eau, reliefs lunaires où la nature mit tant de conviction pour les rendre flatteurs.
Et cette route langoureuse qui s’enfonce dans les antres d’un territoire aux frontières du réel, saigné par d’insondables fêlures ayant fait sa réputation mondiale. La Sierra de Guara, dernier bastion de terre sauvage, brute, vous invite à un voyage initiatique dans ses antres avec originalité. Sur deux roues… Suivez le guide, mais seulement pour hédonistes des sens et contemplatifs.

Les sommets pâlissent sous les affres du mauvais temps qui sévit sur les Pyrénées depuis le début de l’hiver. Le moral en berne, les sens endoloris par cette chape de plomb, le regard tente de déceler une lueur d’espoir dans cette grisaille tenace. Affalé sur le canapé, une carte traîne sous la table du salon, de laquelle je ne discerne pas grand-chose, hormis les couleurs qui me rappellent une carte espagnole.

A l’idée de pérégriner en Espagne sous un soleil qui se fait fort dédaigneux de ce côté de la frontière, je retrouve un semblant de fraîcheur et de motivation. Ma main se saisit de la carte, les yeux écarquillés par l’éventuel site décrit par cette dernière. Avec un brin d’empressement, je dévisage ce morceau de papier, mes yeux se faufilent entre les courbes de niveau, mon imaginaire s’échappe par la fenêtre pour louvoyer dans les noms mythiques qu’égrainent mon regard.
Costera, Mascun, Vadiello, mes sens passent de la morosité latente à un enthousiasme caractéristique des départs à la hâte. La frénésie m’envahit, mon esprit se fait harceler de souvenirs ramenés de cette destination… Contemplation depuis le Tozal de Guara et ses 2000 mètres respectables, lente immersion dans le Mascun au départ de Otin, coucher de soleil à la Virgen del Castillo, les images se pressent aux portes de ma mémoire.

Ayant décidé de conspuer le mauvais sort de cette météo, et le sac prend forme sous les assauts de mes innombrables affaires.
Je m’entoure de présence humaine, les paysages grandiloquents méritent un partage. Passé chez Steph qui acquiesce de suite, la benne du pick-up est chargée, nous prenons enfin la direction du tunnel de Bielsa.

La pluie s’abat sur la vallée, le vent quille les herbes en crête, le brouillard nous plonge dans le néant. La neige fait son apparition à l’approche du tunnel et c’est dans cette ambiance apocalyptique que nous nous hissons jusqu’à lui. L’impatience et la tension sont palpables, avec une seule préoccupation quant à la météo que nous trouverons au bout de ce tube de béton. L’Espagne se fera-t-elle complice d’une nouvelle escapade sous des cieux plus cléments ou au contraire renforcera-t-elle cette prégnance des éléments déchaînés ?

La sortie approche et si le vent violent balaye encore les bords de route, la pluie a disparu laissant place à un ciel laiteux laissant entrevoir plus au sud des onces de bleu. La magie opère une fois de plus nous scotchant la banane. La route n’est alors plus qu’une lente formalité où les discussions sur les éventuels circuits pour pédaler sont disséqués, analysés, carte en main au doux rythme de nos verves intarissables.

Les membres frétillent, les yeux pétillent à l’idée de ce séjour dans la Sierra de Guara et la route se fait toujours plus tortueuse à l’approche de ce sanctuaire de nature. Eripol, Colungo, Las Gargantas, marquent notre avancée vers le cœur de ce temple de virginité où la nature reste un brin ménagée… Jusqu’à quand ?
Tant que tous les usagers de cet endroit magique le respecteront, grimpeurs, marcheurs, amateurs de canyons, cavaliers, vététistes, tous sans exception. Et probablement que lorsque votre regard aura frôlé les reliefs de la Sierra, que votre esprit sera parasité d’images ramenées d’ici vous n’aurez de cesse de vouloir la préserver, rien que pour que vos proches, les générations suivantes connaissent la béatitude d’une contemplation gratuite.
Surtout dans un cadre tel que la nature s’est efforcée de la faire dans ce bout du monde. Le vent, la pluie, l’eau, les sécheresses, les orages sont les artisans majeurs de cette constellation de formes géologiques, où la biodiversité trouve un terrain d’expression sans limite. Et les ombres des vautours fauves jouant avec les thermiques sont les meilleurs gardiens de cette entité qui se voit harceler l’été par des milliers de touristes. Alors de grâce, à la lueur de ces modestes lignes, faites votre sac, préparez les VTT, et tentez l’expérience de cette intrusion mais sur la pointe des pieds, histoire de pas déranger, même si le mal est sûrement déjà fait, ne serait-ce qu’avec ces lignes…

Et pour nous la route croisant Alquezar marque la nécessité d’un premier arrêt. Accroché à un flanc de falaise, nous plongeons dans l’histoire de ce village. Le dédale de ruelles renouvelle l’émerveillement à chaque pas, des visages cuits par le soleil nous sourient, un chien nous accompagne. Ce village de quelques âmes respire la vie, quiétude d’une vie paisible sur les hauteurs du Rio Vero où le temps semble figé. Mais seulement hors saison avant que les hordes de touristes venant descendre le canyon du même nom que le Rio ne débarquent.
En ce mois de mars, la frénésie commerciale ne s’est encore point emparée du village et seule la torpeur d’un soleil de plomb enserre cette falaise. Au détour d’une maison, un chemin feint une tentative charmeuse pour nous inviter à rouler. Et l’impatience aidant, les VTT descendent du pick-up pour aller découvrir de nouveaux horizons, via le GR qui traverse la Sierra d’est en ouest.

Certes, le ruban de cailloux ne nous conduira pas à l’autre bout de ces étendues de garrigue, crayonnées d’abîmes mais l’esprit, lui oui. Projection de l’imaginaire pour tenter de savoir ce que pourrait nous réserver la prochaine épingle, le prochain ressaut, la prochaine côte. Curiosité du découvreur qui souhaite s’émerveiller du spectacle grandiloquent offert par les frasques d’une nature luxuriante. Du coup les kilomètres s’enchaînent.
Délicatesse exquise, le singletracks nous déroule le tapis rouge de part sa diversité, son ludisme, réel firmament du pilotage… à la sauce sudiste au demeurant. « Un brin cassant » comme lâchera mon pote Steph, béat, sourire haut perché, assis devant le château d’Alquezar. Le soleil plonge vers l’horizon. Le village, la nature se parent de teintes orangées, palette du peintre jouant avec sa toile.
Ici illimitée, d’une matière dense à profusion, rayons solaires virevoltants avec la dextérité des pinceaux du peintre, le tableau prend forme au crépuscule. Et nous, acteurs passifs de cette enluminure, nous jubilons pour ce jour et ceux à venir.

Le suivant nous conduit sur les traces du Mascun dans une partie de manivelles d’anthologie, où le physique n’est point épargné. Mais gratitude ultime de notre hôte, le paysage revêt ses tenues d’apparat pour rendre notre cheminement, aux apparences de chemin de croix, une apologie des sens, une aubade au VTT.
Engagé certes, à même de combler les puristes les plus exigeants. Les montées sont ponctuées de portages usants, de sections de roulage trialisante, de descentes où les cinq sens sont en exergue pour tenter de ne pas succomber aux dures lois de la gravité.
Le passage de villages tels que Nasarre, Bara, ou encore l’emblématique Otin nous ramène en arrière à une époque où il aurait semblé bien désuet de faire du VTT, ou autres activités hantant aujourd’hui le parc national de la Sierra.

Ne boudons pas notre plaisir à laisser nos cris hystériques raisonner dans ces cathédrales de roches sous le vol austère de quelques rapaces sûrement prêt à en découdre avec nos carcasses. Il n’en sera point le cas, juste une expiation jouissive de notre rage, de notre plaisir à déambuler dans les plus beaux quartiers de Dame Nature.
Le reste ne sera qu’un travail de patience à l’image d’un Compagnon peaufinant ces techniques pour créer un chef d’œuvre qui lui permettra d’entrer dans la confrérie.

La Sierra de Guara ne se dévoilera pas aux premiers coups de pédales, ni aux premiers coups d’œil. Les méandres des pistes, des chemins, des canyons vous inviteront à une découverte bucolique, lente mais vrai comme l’est le terroir.
Rude de part sa rigueur climatique, austère désert humain, les satisfactions sont ailleurs dans l’euphorie qui s’emparera de vous dès les premiers tours de roues. Finalement, le VTT n’est qu’un moyen parmi d’autres de s’évader sous ces latitudes pour tenter de toucher le bonheur du doigt. Le terrain de jeu existe, à vous d’inventer ou de choisir le mode de découverte adapté.

Pour nous ce fut à VTT alors pour tous les autres amateurs de la petite reine version galbée, c’est par ici. Mais que les autres ne se sentent point lésés, votre source d’inspiration pour les itinéraires peut être la même. Dans tous les cas, une seule finalité, s’émerveiller, savourer, partager, transmettre… A bon entendeur, salut !

Mathieu