Vallée d’Aure

Des havres de paix et de quiétude parsèment notre monde. Certains sous des latitudes lointaines, d’autres à quelques rubans d’asphalte…
Aux confins des Hautes-Pyrénées, dans les antres de la plus longue vallée pyrénéenne, se trament des sessions incommensurables pour leur diversité de singletracks, la richesse des paysages et l’opportunité de prendre du dénivelé négatif sans restrictions.

Evidemment, ma volubilité n’a de raison qu’après quelques mois de vie dans ce paradis où chaque jour permet la découverte de merveilles.

Et bizarrement mes crampons ont pris racines au bord de la Neste (gave) d’Aure, du nom de la vallée dans laquelle elle s’écoule au doux rythme des clochers de villages égrainant le temps…
Cette douceur de vivre associée à des rencontres humaines impromptues permet de s’imprégner de ce morceau de terre pyrénéen. Et d’en tomber amoureux !

Le coin n’est pas avare en matière de chemins, mon spad aussi incombe les cieux pour que l’avenir se dessine au creux de ces quelques descentes devenus mythiques.
Mes potes également d’ailleurs depuis que les occasions de s’arsouiller sur des tracés de maxi-avalanche se comptent en nombre de jours dans l’année et plus en minutes à attendre derrière un tendu du freinage !

En fait, un terrain de jeux fabuleux avec une liberté de déambuler outrancière, monture sous les fesses, dans un cadre naturel pléthorique.

Le bonheur est bien dans la vallée d’Aure et votre honorable serviteur a payé de sa sueur et de son temps pour rendre le site attractif avec des semaines de patience à déflorer le moindre singletrack présent sur la carte.
Balisages, centre VTT ne font pas partie du vocable local, même pas en patois. Et certains maires de village jouent allègrement de l’arrêté municipal pour interdire l’accès de chemins à mes confrères « pédaleux ». Ceci dit, pas vu, pas pris !

Dans ce contexte, le temps de la découverte permit de s’imprégner du terrain âpre et cassant qui caractérise la plupart des chemins. Nous sommes bien en montagne. Il serait regrettable de l’oublier aussi bien pour garder à l’esprit la dose de contemplation nécessaire à l’extase de vos pupilles, que pour la prise de risque qui se devra d’être toujours mesurée… Excès de zèle à oublier ou la sanction sera rude.

Et puis la douleur avec l’attente des secours (éloignés…), voilà une situation pour masochistes se respectant. Des amateurs ?!

Par contre, les présentations faites, les inconscients ayant passé leur chemin, les touristes recherchant un terrain de jeux aseptisé aussi (y’a les Alpes pour ça !), tous les autres sont les bienvenus pour venir jouir des faveurs du sud.

Je me rappelle encore de ma mine réjouie pour mon premier jour de pédalage dans le coin par un beau jour de début juillet. Rentrant juste du Mondial du VTT, légèrement aigri d’ailleurs par le trop de monde de la chose. Mais bon, pour les organisateurs il en était mieux ainsi. Pour mon agoraphobie, nettement moins !

Je partais donc à la découverte du crû, mollets affûtés, crampons à l’œil rieur (beaucoup moins depuis), porté par l’instinct qui habite chacun d’entre nous et plus exactement dans le secteur du col d’Azet. Les singletracks semblant redescendre de ce col sur la carte attiraient inexorablement mon œil, tant sur cette dernière qu’au travers de mon Velux m’offrant ce paysage en vis-à-vis. Y’a pire !

La montée se fait par une petite route buccolique me faisant oublier ce caractère un brin citadin du à l’enrobé qui défilait sous mes roues. Rien de grave cependant car pour avaler mille deux cent mètres de dénivelé positif, ça colle moins le stress qu’un chemin de chèvre, usant. Et puis là n’était pas l’essentiel ou en tout cas je tentais de m’en persuader pour avaler les derniers hectomètres de route.

Une fois là-haut un sourire naïf envahit mon visage, traduction de ma béatitude devant le spectacle offert. Grandiloquence des sommets où doux noms de Néouvielle, Campbiel, Lustou, Gourgs Blancs pour les plus imposants, Pichaley, Sarrouye, Montfaucon, Terranère pour les seconds couteaux.
La sensation de vivre atteignait son paroxysme. Battements de cœur, transpiration pour les éléments physiques, choc émotionnel pour le psychique… Le bonheur, le vrai, le simple, fait de choses gratuites, il suffit juste d’y porter son regard et de s’avoir s’en émouvoir !

Je poursuivais mon ascension par une piste, sorte de transition avant la délivrance de la descente, qui s’annonçait fameuse. Le singletrack se dévoilait par petites touches, toutes plus incitatrices les unes que les autres. Mon rythme s’accélérait pour me rapprocher de cet eldorado qui semblait me dérouler le tapis rouge. Et les attentes furent comblées, sur le même dénivelé qu’à la montée (vaut mieux !) mêlant finesse de pilotage, prise de vitesse, appuis rageurs et montées d’adrénaline.

Le paysage devenait filet, les sons diffus, le regard concentré sur la trajectoire, je m’échappais vers le « must » du pilotage. Le singletrack était d’une variété rare alternant passage en alpage sur le haut, sous-bois, pierrier, zone trialisante, épingles… Cette descente conduite par mon instinct pouvait dès lors prendre une place de choix dans mes coups de cœur.

Non moins avare que le terroir, je vous donne les clefs de cette merveille qui pour les feignants peut se réaliser sur des rotations motorisées… alors que personne ne s’en prive ! Pour les persévérants, la carte IGN constitue une allier de taille dans cette quête de la pureté, de la perfection.
Cette fameuse descente qui ne vous laissera aucun goût amer, aucuns regrets juste un sourire béat… Sensation inexorable de plaisir. Dans cet optique, certains grands noms de cols tombèrent sous mes assauts, hourquette d’Ancizan, col d’Aspin, col de Portet, me dévoilant tous un terrain de jeux d’une richesse rare, loin de toute monotonie.
De quoi en avoir une sous le coude pour tous les types de temps, de potes, d’envies et de jours dans le mois. Puis les jours passant au doux rythme de mes pérégrinations, chaque single m’en dévoilait un suivant, euphorie palpable de la nouveauté, de la découverte. Du vrai freeride, pas des gros gaps où se joue l’intégrité physique mais juste un brin de folie pour découvrir toujours mieux, toujours plus loin.
Une forme de désir d’exploration, Mike Horn et ses huit cent jours autour du cercle polaire, les concurrents du Vendée Globe Challenge, moi et mes quatre cents kilomètres de singles dans une même vallée… Pas les mêmes moyens, pas les mêmes enjeux, un seul et même but, le dépassement de soi pour se découvrir et découvrir. Des paysages, des chemins, des hommes…

Steph fait partie de ces rencontres intemporelles, moniteur MCF à Saint-Lary et proprio du magasin VéloAttitude. Notre rencontre allait sceller une vrai amitié et nous permettre de pourfendre les derniers bastions de résistance à nos crampons. Voilà plusieurs fois que je traînais mes basques du côté de la vallée de Rioumajou, un joyau de préservation.
La motivation plutôt en berne, mes repérages successifs dans cette vallée n’avait guère porté leurs fruits. Pourtant sur la carte, un ancien chemin semblait remonter cette vallée ou la descendre (selon l’optique), taillée dans les falaises. Evidemment des images de Via Ferrata dans les Dolomites avaient surgis de mes pensées, me voyant jouer avec l’apesanteur, et autres insondables fêlures susceptibles d’être rencontrées sur le chemin.

Mais pour l’heure, mes yeux ne m’avaient rien dévoilé de tel, des heures de marche à chercher ce mystère, à scruter à la jumelle, puis vint le jour de la délivrance. Remontant par la petite route langoureuse avec Steph pour un ultime repérage, deux silhouettes ancrées dans la paroi attirèrent notre œil. Les jumelles vissées sur les orbites, nous découvrons ce fameux chemin, tant espéré. En fait deux agents EDF effectuent une visite de courtoisie sur ce vestige des exploitations hydroélectriques, accueillant encore des prises d’eau. La délivrance semblait toute proche…

Et le spectacle, les émotions furent à la hauteur. Un paysage dolomitique se dévoilait au fil de l’avancée. L’étroitesse du chemin obligeait à une attention exacerbée, la prise de risque inéluctable faisait frémir mes membres, le vide aspirait mes trajectoires. Le silence s’installa entre Steph et moi, signe de la concentration, du bouillonnement intérieur qui ne trouva une voie d’expiation qu’au bout de deux heures à l’amorce de la descente. Je me rappelle que ce jour-là, nous partagions la même mine réjouie, la même fierté.

Une première, recouvrant sensiblement les mêmes émotions qu’une première en ski extrême, ou en alpinisme. Avec le recul, cet acte semble désuet et dénué d’intérêt mais l’inutile est encore un privilège. Nous nous en faisons les défenseurs, la vallée d’Aure aussi.
Tant de chemins à la virginité outrancière s’offrent à nos crampons que prendre du temps pour les parcourir est délectable.

Tant pis pour tous les détracteurs du VTT qui hantent cette si charmante vallée, leur seul mérite est de préserver un endroit sauvage. Mais les clefs du sanctuaire ne sont dorénavant pas que dans leurs mains et Steph au travers de son shop, de ses encadrements, ou aux travers de rencontres inattendues, partez le nez au vent vers ces contrées où les chemins possèdent des anges gardiens.

La nature a mis autant de grâce que de perfection dans ses créations, alors laissez-vous tenter, jouisseurs des yeux et du deux roues que vous êtes.

Mathieu